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Projet ELUSAN : Les elu.e.s et la sante. Contribution à l'analyse du travail politique

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Dans le cadre de l'appel à projets générique 2022 de l'ANR.

Coordination

  • Responsable scientifique au CENS : Rémy Le Saout
  • Financeur : Agence Nationale de la Recherche
  • Partenaires : FNSP/CSO, CERAPS, IRISSO, ARENES
  • Durée du projet : 2023-2025

Résumé du projet :

L’étude porte sur les conditions d’exercice des mandats et de leurs effets sur la santé des élu.es. Cette recherche a pour objet de rendre compte d’une dimension des activités politiques et de l’exercice des mandats relativement négligée jusqu’ici. Les rapports entre activités politiques et santé sont quasi ignorés par les sciences sociales. Faisant le constat d’un sous-investissement de la recherche sur le sujet, le projet ELUSAN a pour objectif, en croisant la sociologie du travail et la science politique, d’enrichir les connaissances accumulées sur le travail politique. Prendre la santé des élu.es comme objet de recherche permet de mettre l’accent sur les conditions d’exercice du métier politique afin de poursuivre un projet scientifique engagé par les ANR PRELAT (2009-2012 coord. Didier Demazière) et ELUAR (2017-2021 coord. Rémy Le Saout) qui vise à saisir de façon articulée les manières dont les élu.es exercent leurs mandats, investissent les activités correspondantes, affrontent des normes et exigences spécifiques, et règlent leurs rapports au travail politique.

La santé des élu.es n’a guère été étudiée par la recherche. Néanmoins, la question de la pression psychique, entre autres les effets du « stress » sur la santé des personnels politiques a donné lieu à quelques recherches. Dès les années 1970, des psychologues américains se sont intéressés aux effets de la pression du travail politique sur les élu.es [Richardson, Jordan, 1979]. Depuis une quinzaine d’années ce sujet a fait l’objet d’une attention un peu plus soutenue. Un bilan des recherches consacrées, dans une perspective de psychologie du travail, à la santé des élu.es montre comment ils et elles sont soumises à de multiples pressions liées à l’exercice de leurs fonctions : permanence de la compétition, insécurité et risque de perdre ses mandats, poids des responsabilités, faible contrôle sur les événements, instabilité des alliances et des loyautés… [Flinders et al., 2020]. Les tentatives pour dresser des tableaux cliniques de la santé des élu.es soulignent également l’importance des phénomènes d’anxiété, dépression, addictions [Isohanni, 2020 ; Weinberg, 2012]. Les débutants et plus généralement les novices qui accèdent à des responsabilités ou charges importantes, expriment plus souvent un sentiment de surmenage ou de « stress », notamment parce qu’ils éprouvent un déficit de compétences requises [Kwiatkowski, 2012, Cooper-Thomas, Silvester, 2014 ; Silvester et al., 2014]. D’autres travaux indiquent que le manque de temps pour les activités familiales, sociales et de loisirs est aussi perçu par les élu.es comme une source de surmenage et de dégradation de leur santé [Weinberg et al., 1999 ; Weinberg, Cooper, 2003]. Mais ces enquêtes internationales qui collectent les points de vue des élu.es n’informent pas sur les conditions de travail et les pratiques concrètes du travail politique qui peuvent peser sur la santé des élu.es. En France, le travail exercé par les élu.es est étudié de manière plus précise, mais la focale est portée sur les conditions organisationnelles d’exercice du métier politique, la socialisation au rôle d’élu ou encore les conditions matérielles pour l’exercer, sans guère accorder d’attention aux questions de santé.

Seuls quelques recherches françaises sur les conditions matérielles d’exercice des mandats permettent d’approcher la question de la santé, notamment lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux temporalités de l’activité politique [Marrel, Payre, 2018]. L’étude des agendas des élu.es montre le renforcement de l’intensité du travail politique [Lefebvre, 2014a ; Catlla, 2021 ; Kerouche, Lavignotte, 2020] et les stratégies déployées pour rationaliser l’usage du temps [Lefebvre, 2014b ; Godmer, Marrel, 2016 ; Beauvallet, 2018]. Les difficultés à maitriser ce temps sont accentuées par les alternances entre moments de saturation et temps d’attente ou temps morts, observées chez les députés [Ollion, 2021]. Qu’elles décrivent l’activité politique comme frénétique ou dilatée, ces enquêtes soulignent aussi que les élu.es sont affecté.es par les concurrences entre des temporalités hétérogènes (agendas politique, professionnel, familial, domestique), mais sans pour autant que l’on sache concrètement comment cette condition quasi structurelle des fonctions politiques joue précisément sur leur santé. Cette question est d’autant plus centrale à traiter qu’un autre ensemble de recherches montre que le dévouement et donc un engagement intense dans la fonction est une composante saillante du métier politique. L’activité de représentation, historiquement conçue comme un dévouement à la chose publique [Dammame, 1999], est en effet encodée par les élu.es sous le registre de la vocation ou de l’art [Lehingue, 1999] et de l’oubli de soi au profit des mandants ou des citoyens [Fontaine, Le Bart, 1994 ; Abélès, 2005] ce qui peut jouer sur leur santé car les élus sont fortement sollicités.

L’étude est organisée autour de l’hypothèse selon laquelle l’exercice de mandat(s) politique(s) est une activité qui est traversée et configurée par des tensions entre, d’une part, des injonctions au dévouement et des normes de conduites exigeant d’être en bonne santé et, d’autre part, des formes multiples de mises à l’épreuve et d’usure face aux exigences de la fonction pouvant potentiellement dégrader la santé.

Cette hypothèse est explorée à travers une double question. Quels sont les traits saillants des conditions de travail des élu.es et quelles sont leurs conséquences sur leur santé ? Comment les élu.es gèrent-ils/elles leur santé ?

Le projet vise à saisir les composantes des conditions de travail qui affectent la santé des élu.es à partir de leurs propres expériences. Si des travaux soulignent la centralité de la dimension temporelle dans l’activité des élu.es [Marrel, Payre, 2006], d’autres dimensions vont être investiguées : le travail de représentation et d’exposition au public [Airagnes et al., 2018] qui exige de fréquents déplacements et trajets et ouvre sur de possibles aléas ; la prise de décisions et l’exercice de responsabilités impliquant une forte charge mentale associée à une gestion simultanée de nombreux dossiers et à une dispersion du travail [Datchary, 2011] ; le brouillage des frontières entre sphères professionnelle et privée et les difficultés à concilier travail et vie familiale liées à une activité marquée par l’engagement ; ou encore les incertitudes issues de la remise en jeu des positions à travers la compétition électorale... Dit autrement, comment les élu.es font état de leurs conditions de travail et des manières dont elles peuvent affecter leur santé ? Selon leur sexe, âge, ancienneté dans le champ politique, types de mandat, quelles perceptions et définitions des contraintes que leur fonction fait peser sur leur santé peuvent être identifiées ?

La deuxième perspective consiste à repérer si et comment les élu.es se distinguent par des conditions de travail spécifiques d’autres travailleurs et travailleuses. Il s’agira ici d’interroger les particularités du métier d’élu et des conditions de travail auxquelles il expose par rapport à d’autres activités comparables sur certaines dimensions : les agents publics ou privés qui travaillent en contact avec un public ; les encadrants dotés de fortes responsabilités et soumis à des durées, horaires, rythmes et stress élevés au travail ; ou les petits chefs d’entreprise très engagés dans leurs activités auxquels certains (ici les parlementaires) ont pu être comparés [Bolaert et al., 2017]. L’analyse comparative, permettra de mieux spécifier les propriétés des conditions de travail des élu.es ainsi que leurs effets sur la santé.

Enfin, la troisième perspective vise la prise en compte des significations subjectives [Gollac, 1997, Gollac et al., 2014] que les élu.es accordent à leurs conditions de travail et l’affirmation de normes professionnelles en matière de santé. L’objectif est de saisir les qualifications de ces conditions de travail : comment ce qui peut apparaître comme insoutenable (infaisable) devient soutenable (faisable), comment ce qui fait souffrance peut aussi être appréhendé comme une source de plaisir [Baudelot, Gollac, 2003], ou être banalisé au titre des « risques du métier ». Il s’agira de comprendre comment ces conditions sont intériorisées, naturalisées, tolérées, jusqu’à certains seuils à ne pas franchir, et d’étudier les variations de ces seuils selon les mandats, les investissements dont ils font l’objet et les caractéristiques sociales des élu.es.
Mis à jour le 15 mars 2024.
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